Le Quatuor de Leeds ( 1974 / 1977 / 1980 / 1983 ) de David Peace
Un bon polar qu'il y ait enquête ou non , reflète tout d'abord la réalité du monde dans lequel nous vivons. L'important outre le caractère ou le style de l'auteur est qu'il porte un regard lucide sur ses composantes politiques , sociales et historiques.Le polar reste un divertissement mais s'il ignore la mondialisation de nos sociétés , il ne présente aucun intérêt . D'aucuns l'ont compris et entreprennent de nous plonger sur plusieurs tomes dans une époque particulière qu'ils chroniquent avec brio tout en y offrant une vision globale particulièrement documentée et en y incluant une réelle portée sociale.
On connait le quatuor de Los Angeles d' Ellroy ou la trilogie Berlinoise de Philip Kerr. En parallèle on trouve aussi David Peace et son quatuor de Leeds, une chronique anglaise relatant une décennie d'errance d'un tueur en série sur fond de corruption policière , de Thatcherisme et d'effondrement social dans le Yorkshire des années 70 et 80.
J' ai aimé cette série mais je ne suis pas du tout sûr d' être en mesure d'expliquer pourquoi. Et il m'est aussi difficile de vous parler d'un roman seul plus que les trois autres. Il faut prendre l' oeuvre dans son ensemble tant le cycle est complexe , foisonne d'histoires complémentaires et symétriques, de tableaux de caractères évoluant dans une mosaïque d'événements dont le fil conducteur est l'enquête sur ce tueur , surnommé l' étrangleur du Yorshire.
1974 fait figure de prologue et m' amène à des sentiments très partagés mais en définitive plutôt bons.
Les personnages semblent être une galerie de pourris, corrompus, assoiffés de pouvoir et d’argent. Même le héros est limite, insupportable parfois mais bizarre et insaisissable.
L’écriture est chaotique et la lecture ardue et ce livre laisse une impression étrange : on veut connaître l’assassin mais on a hâte de finir le récit car il est très dur à tout point de vue :
écriture lourde et récit brouillé.
Mais 1974 est important car il introduit la plupart des personnages qui apparaissent dans les livres suivants de la série.
1974 ne concerne pas directement le tueur en série mais Eddie Dunsford , personnage inclassable, grande gueule et porté sur la bouteille et qui est le correspondant de l' Evening Post en matière d'affaires criminelle. Il étudie le cas d'un meurtre particulièrement atroce d’une petite fille, Clare Kemplay , et l' enquête qu'il mène tourne vite à l'obsession.
Il est persuadé qu'un lien existe entre cette affaire et d'autres filles disparues, une théorie que la police a violemment rejeté.
Même s'il est sur le papier , "Le" chroniqueur judiciaire du Post, Eddie se retrouve affecté au second plan lorsqu'un journaliste d'investigation ,autrefois nominé Reporter de l'Année, rentre en scène et suit sa propre enquête entachée d'erreurs et d'ènormités. Eddie n' arrive pas à l'accepter et poursuit une enquête parallèle sur ces disparitions et sombre lentement dans la folie.
Tout et tous se liguent contre lui, ses amis meurent, ses témoins également, il est passé à tabac par la police.
1974 est le récit d'une descente aux enfers ou le lecteur ne peut s' identifier ou sympathiser avec aucun des personnages tant ils affichent leur vénalité, leur soif de pouvoir dans une totale indifférence. Beaucoup de vulgarité, de blasphème, racisme, sexisme,extrême violence sexuelle envers les femmes, et scènes de brutalité policière jalonnent le roman de Peace.
1977 se situe 3 ans après ( logique). On prend les mêmes personnages mais on en tire le pire.
Le Yorkshire, en cette année 1977 fête le jubilé de la Reine, et le Jack l’ Eventreur local s’en donne a coeur joie. Le second tome nous fait entrer dans l'histoire de l'étrangleur et ce thème restera pour la suite de la série.
Des prostituées sont sauvagement assassinées et la police est sur les dents. Nous retrouvons la même trame que dans 1974,et aussi les mêmes policiers, racistes, violeurs, violents et corrompus. Et la même déchéance humaine chez le sous-prolétariat d’une ville en pleine décadence.
Le tueur est de retour, et ses attaques sont de plus en plus fréquente.
La police veut absolument quelqu'un pour endosser ces crimes. Ici, les personnages principaux sont Bob Fraser, un sergent de police qui en 1974 donnait au journaliste Eddie Dunford des information non officielles, et le reporter Jack Whitehead, l'ennemi juré de Dunford. Fraser et Whitehead ont quelque chose en commun, puisque tout deux s' offrent des prostituées.
Le récit amène un duo de narrateurs: Jack, le journaliste ,est alcoolique, et la tête pleine de fantômes. il ne se remet pas de la perte de sa femme. Puis Bob, le flic amoureux fou d’une prostituée, qui est également fortement attaché à son fils. Le dilemme est très dur à vivre, et il craint pour sa maîtresse.
Et la police aussi corrompue que dans le précédant opus, magouille entre tout ce beau monde. Le final amènera toutefois réflexion.
Pour la forme et le fond il n’y a pas trop de changements . Ecriture tranchée,et rythme saccadé. Un roman policier anglais beaucoup plus réaliste que la moyenne. Mais Peace cette fois accroche .Il n' y a certes pas un mot de trop dans ce récit, mais ils attire le lecteur par sa justesse et son intensité frénétique.
Avec 1980, Peace nous ramène avec un réalisme cru sur le sujet peu glorieux de la corruption policière.
L' enquête sur l' étrangleur du Yorkshire est reprise par le Sous-chef de police du Grand Manchester, Peter Hunter, un flic honnête évoluant parmi les ripoux.
Hunter se retrouve à la tête d'une nouvelle équipe pour mener une enquête parallèle, mais secrète. Publiquement leur tache sera de conseiller l'enquête officielle sur les méthodes à adopter , les pistes à suivre , les profils à surveiller.
Hunter ne fait pas beaucoup confiance à la plupart des forces de police en place ayant dans le passé enquêté sur certains collègues policiers qu'il soupçonnait à juste titre de corruption. Hunter fait trop bien son métier, et bien entendu, ce n'est pas pour plaire à certains
Hunter se retrouvera évincé après avoir été photographié avec son assistante dans les bras et fera lui-même l'objet d'une enquête.
C’est son adjoint, de Manchester comme lui, qui lui collera deux balles dans la peau. Tout ceci avec l’assentiment des autorités locales.
L' accroche est dans ce troisième épisode, plus appuyé. Et je dirais que la façon dont ce livre est écrit est plus engageant car plus mature.
Les techniques que l'auteur a utilisé pour tenir compte de l'horreur des événements, non seulement des meurtres, mais aussi de la corruption , mise en exerbe, de la police, sont désormais la marque de fabrique que Peace a perfectionné au fil des ses romans. Et ce qui fait de lui un auteur incontournable du polar.
Avec 1983 , la série se clos et le voile est levé sur les deux intrigues. Les flics du Yorkshire sont pourris jusqu' à la moelle et leur corruption est mise à jour et révélée. Quant aux assassinats d’adolescentes et de prostituées, ils semblent qu'il faille les imputer à un pasteur qui porte pour l’occasion le chapeau de la police.
1983 conclut le quatuor. On signale la disparition d’une petite fille à Morley, là où avait été enlevé et assassiné la petite Clare Kemplay neuf ans auparavant. Certaines personnes s’interrogent sur cet enlèvement. Et si le type arrêté à l’époque n’était pas le véritable meurtrier ? Et si le coupable courrait toujours ? Deux personnages vont être amenés à reprendre l’enquête.
On se déplace dans le temps par des effets de flashback entre 1983 et les événements de 1974, 1977 et 1980. Les histoires sont racontées par BJ, d'abord vu en 1974,prostitué gay et indic occasionnel, qui sait plus de choses qu’il ne le dit… Puis par l'avocat John Pigott en1977,chargé de réhabiliter l’homme arrêté en 1974 et de défendre celui qui est accusé de ce nouvel enlèvement. Et pour finir ,le chef de police Maurice Jobson, membre du groupe de flics pourris qui règne sur les trois premiers tomes, mais qui possède encore assez d’humanité et de conscience professionnelle pour tenter de stopper le sadique à l’œuvre depuis plus d’une décennie.
Ici, la plupart des questions posées par les livres précédents sont traitées, les réponses fusent entre ce qui s'est passé et qui était responsable de quoi.
1983 fait aussi office de lexique des trois premiers récits , une indéniable réussite formelle et narrative, dernier mouvement d’un requiem poignant et douloureux dédié aux victimes d’un lieu et d’une époque...
Ces livres ne sont pas faciles à lire et requièrent une attention particulière de notre part, nous lecteurs, pour garder le fil d'une histoire, certes tirée d'un fait réel , mais accouchée , il faut le dire ,dans la douleur . Cela peut paraître indigeste et plus d'une fois on se retouve perdu.
Mais l'auteur au fil de ses romans a affiné son écriture et a su reconstituer l'atmosphère particulière de cette époque.
Il est sur qu'on appréciera la galerie de personnages et surtout l'exposition sans condition de leurs travers et de leurs faiblesses.
Au final on est scotché parce qu' avoir côtoyer ces personnages , même si ce n'est pas vraiment une sinècure , cela nous pousse inéxorablement à connaître leur évolution dans la série et à suivre leurs périgrinations à travers cette décennie.
Mais si tout ceci est décrit de façon plus que réaliste , parfois outragée, David Peace porte sur ces événements troubles un regard acerbe entremèlé d'une critique sociale des plus cynique
Une fresque sombre et glaçante qui malgré ces erreurs et ces lourdeurs, est une pièce maitresse dans l' univers du polar.
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